Tuesday, March 24, 2009


La question de confiance entre le public français et son équipe nationale est posée. Après le France - Argentine du Vélodrome et son ambiance malsaine (0-2), le sondage paru mardi dans France Football a donné du crédit au scepticisme qui escorte l'équipe de Raymond Domenech avant son déplacement en Lituanie, samedi, sur la route des qualifications pour la Coupe du monde 2010. Le 1er avril, contre cette même Lituanie, le Stade de France sera presque plein. Mais est-ce une bonne nouvelle pour les Bleus? Ne risquent-ils pas une tempête au premier événement défavorable? Patrice Evra semble craindre que oui. Mardi, à Clairefontaine, il a évoqué ce malaise avec plus de franchise que n'importe quel autre Bleu à ce jour. C'est un témoignage d'une sincérité rare («On joue tous les matches à l'extérieur, il ne faut pas se mentir»), et aussi, en filigrane, un appel au soutien de tous. En Angleterre, il expérimente chaque semaine ce qu'être porté par un stade veut dire.

« Patrice Evra, comment avez-vous vécu l'épisode des sifflets du Vélodrome lors de France - Argentine ?
J'ai vu le match à la télé, mais j'étais déçu de voir le public faire la ola quand les Argentins faisaient tourner le ballon. Tevez, quand il est rentré de sélection, m'a dit qu'il avait eu l'impression de jouer à Buenos Aires. Il y avait des drapeaux de Maradona et de l'Argentine en tribunes. Moi, je n'ai pas encore vu un drapeau de Henry ou Ribéry au Stade de France. Il faut que les supporters soient derrière nous. S'ils veulent qu'on aille à la Coupe du monde, il va falloir faire autre chose.

Raymond Domenech soulignait jeudi qu'il fallait travailler la relation entre les supporters et l'équipe de France.
Oui il faut la travailler, mais est-ce que ça marche seulement dans un sens ? Si on oublie de signer un autographe, on ne nous loupe pas. Mais moi, quand je joue et que j'entends des sifflets au bout de cinq minutes, je me demande pourquoi les supporters ne signeraient pas un passeport eux aussi*. Ça ne peut pas aller que dans un sens. Il peut y avoir des rancoeurs consécutives à notre Euro catastrophique, mais il faut passer à autre chose. Il y a une Coupe du monde en Afrique qui arrive.

N'est-ce pas Raymond Domenech qui cristallise cette rancoeur ?
Que ce soient les joueurs ou le sélectionneur, si tu es supporter, tu dois être derrière tout le monde. Que ce soit le sélectionneur ou nous, c'est la même chose. Ce sont les joueurs qui touchent le ballon quand les sifflets montent des tribunes, ce n'est pas Domenech. On le prend pour nous. Tous les matches, on les joue à l'extérieur, il ne faut pas se mentir. Contre l'Irlande, contre l'Ecosse, contre l'Angleterre, à chaque fois c'est vraiment incroyable, on a l'impression qu'on a dit aux Français de rester chez eux.

Pourquoi le public siffle-t-il ?
Il faut demander aux gens, peut-être qu'ils n'aiment pas le foot.

Cela vous touche beaucoup ?
Ça nous touche oui. On en parle entre nous. J'évolue dans un grand club. Quand tu as 76.000 personnes derrière toi, ça te donne un coup de pouce, mais si tu entends des sifflets au bout de cinq minutes, tu ne peux pas avoir la même chose.

Le public vous demande-t-il trop ?
Un public doit être exigeant, c'est normal. D'ailleurs, si tu regardes l'équipe, il n'y a pas de petits joueurs. Mais on ne fait pas exprès de perdre, personne, on rentre tous pour gagner. En trois ans à Manchester, je viens de perdre deux matches d'affilée pour la première fois, je me rends compte qu'on est condamné à gagner le prochain match. Mais même quand on a perdu, on nous a applaudis, pas sifflés.

Pensez-vous que les personnes qui vous sifflent sont celles qui vous demandent les autographes ?
Bien sûr, j'en suis persuadé, c'est toujours comme ça.

C'est une question de manque de culture sportive en France ?
On n'a pas la culture des supporters brésiliens, argentins, italiens, anglais, oui. Quand je suis arrivé en Angleterre, j'ai eu l'impression de faire un nouveau métier. L'impact des stades et des supporters... Là-bas, c'est une religion. L'Espagne n'a rien gagné pendant un moment, mais quand les supporters sont déçus de leur équipe, ils n'expriment leur frustration qu'en fin de match. Je me souviens de ma première sélection (NDLR, en 2004), Zidane venait d'arrêter, et au bout de deux minutes, le public criait : ''Zizou Zizou''. T'arrives avec le bus, t'as des insultes !

Avec les Bleus, vous vous êtes fait insulter dès l'arrivée du bus en France ?!
Bien sûr. (NDLR, il a confirme que cette scène avait eu lieu avant le France - Bosnie d'août 2004 à Rennes, premier match de l'ère Domenech)

Qu'avez-vous envie de dire aux supporters ?
Je leur dis juste d'aimer le foot. Si on aime le foot, on ne peut pas avoir ce genre de comportement.

La France a-t-elle du mal à digérer l'après Zidane ?
Oui, ça nous suit. Depuis 1998, il faut toujours gagner la Coupe du monde, et gagner tous les matches. C'est un nouveau cycle, il faut faire avec. On a besoin d'un peu de temps. Mais je ne me cache pas derrière ça, je ne cherche pas d'excuse, je réponds juste franchement à vos questions. Je dis juste que tu ne peux pas te faire tirer dessus car tu n'as pas signé un autographe alors que tu te fais siffler par tes propres supporters. C'est donnant donnant, il ne faut pas se le cacher. »

Propos recueillis par Cédric ROUQUETTE (à Clairefontaine)

* Le 10 février, les Bleus ont signé une charte de bonne conduite, à l'initiative de la FFF, sous la forme d'un ''passeport'' à l'usage des internationaux.